Elle s'en souvenait encore. Les premiers mots qu'elle avait prononcé, du moins les premiers mots écoutés. Toutes s'étaient tournées vers la jeune fille au teint pâle, se demandant si c'était bien de sa bouche sans vie que venait de sortir ces mots. Oui, en effet. Voilà plusieurs jours qu'Ace avait échafaudé un plan pour passer de l'autre côté. Après tout, qu'est-ce qu'il risquait d'arriver ? Elle s'en fichait. Elle, elle saurait être discrète. Tant pis si ses camarades de dortoirs se faisaient prendre. Elle avait sortit une feuille de papier de sous son oreiller et l'avait posée au sol. Les jeunes filles se sont assises en cercle - ou plutôt en patate - pour regarder et l'écouter. Elle commença. D'abord, elle irait dans le jardin des dégénérés. Jusqu'ici, facile. Il ne fallait pas que ça fasse trop suspect. Ensuite, il y avait ce très grand arbre qui séparait en quelques sortes les deux côtés. Montées dedans, la première descendue de l'autre côté courrait se cacher. Une fille du dortoir avait le pouvoir d'invisibilité, ça pouvait aider. En espérant que ça ne rate pas et qu'elle ne perde pas le contrôle de leur couverture. Admettons que ça marche. Qu'est-ce qu'elles feraient ensuite ? Ace savait que cette petite escapade suffirait aux filles, mais pas elle. Elle avait besoin d'une plus grosse dose d'adrénaline, comme.. Un sourire malsain se forma sur son visage. Oui. Si elle trouvait un moyen qu'elles se fassent toutes repérées, la course serait plus folle. Pas d'inquiétude pour la jeune femme qui se fondait si bien dans le décor avec sa peau si blanchâtre. Elles firent le pacte de ne pas se dénoncer, mais Ace s'en fichait : elle ne tenait jamais ses promesses. C'était donc un après-midi assez ensoleillé qu'elles décidèrent de sortir pour la première fois. Ace fut élue comme la chef, comme elle s'y était préparée. Elles longèrent les bâtiments. Une à une, elles montèrent dans l'arbre. Incroyable que ces "Saints" ne voient rien. Elles étaient en train d'investir leur territoire. Lentement, mais surement. La jeune femme, rusée, décida de passer la dernière pour se sacrifier si elles se faisaient voir. Une. Deux. Trois. C'était le tour d'Ace. Myriam, la dégénérée au don d'invisibilité, la couvrait d'une cape imaginaire. Comme prévu, elle courra la petite distance entre l'arbre et un endroit plus sur. Comme prévu, elle trébucha. Comme prévu, elles accoururent toutes quand elle se mit à gémir. C'était le moment tant attendu. Elle se concentra. Pensa arc-en-ciels, pensa boîtes de feutres.. Pensa ÉNORME CHENILLE. Tel un voeu demandé à un génie, une très grosse chenille se matérialisa sous ses yeux. Elle l'a choisit verte. Verte comme.. La plus grande phobie de Myriam. Et comme prévu, elle hurla à la mort. Son attention se relâcha, elle perdit le contrôle de son pouvoir. Elle criait comme pas possible, de toutes ses forces, après cette grosse chenille qui suivait lentement le chemin prédit par sa maîtresse. L'invisibilité disparue et les hurlements présents, l'attention des "Saints" se porta sur ce groupe d'intrus. Pétrifiée en l'envie de partir en courant se blottir sous leurs couettes et celles de se battre, les trois filles ne bougeaient pas. Contrairement à Ace qui sprintait, hilare. Alors qu'elle s'apprêtait à s'arrêter pour reprendre son souffle, elle entendit un bruit de pas, autres que les siens. Elle grimpa alors un escalier qui s'offrait à elle, sans se retourner pour regarder la personne qui la poursuivait. Ce n'était pas la première fois qu'elle entrait dans l'autre camp, elle connaissait à peu près les cachettes. Courant comme un participant pour les Jeux Olympiques sur le dernier cent mètres, elle ne sentait plus son coeur battre tellement elle avalait d'air. Ses temps battaient trop vite, elle allait.. Vomir. Autant s'en servir. Ace se cacha derrière un mur et attrapa la personne qui lui courrait après pour lui offrir un festival de chenilles. Enfin, c'est ce qu'elle allait faire avant de reconnaître son ex-future-victime. C'était Alice Van, chef des "Saints". Elles n'avaient rien en commun, mais pourtant : elles s'entendaient bien. La jeune dégénéré trouvait la "Sainte" très jolie, signe que le courant passait. Ace sourit et vomit son déluge de chenilles quelques centimètres près des chaussures d'Alice, dans ses mains. Elle resta en admiration devant l'harmonie des couleurs de ses seuls vrais amis, puis les laissa ramper vers d'autres horizons. Elle reporta son attention sur l'autre jeune fille.

Alice est si jolie. A bien regarder, ses cheveux flamboyants étincellent dans la lumière, ses yeux sont profonds à s'en noyer dedans. Et son corps. Ace, à côté d'elle, n'est qu'un fantôme. Blanche. Ses couleurs ne reviennent presque plus, elle a l'impression que plus elle palissait, plus elle devenait folle. Il arrive qu'à des moments, elle perd la tête. Elle dessine sur les murs de sa chambre des trucs bizarres, elle hurle sans raison, elle crie des phrases sans queue ni tête, elle pleure.. Moche à voir. Elle soupire et ferme les yeux. Seul des bains de limaces soignent ça. Comme pour justifier ses paroles, elle fut prise d'une envie de hurler et de se jeter dans le vide. Elle ne veut pas péter un plomb. L'autre a l'air énervé, comme si elle en avait marre de la dégénéré. Marre de la voir s'enfuir, elle ratait tout le temps. Il fallait qu'elle s'habitue, Ace n'a pas fini de faire parler d'elle. Un jour, elle finirait bien par s'arrêter. Un jour lointain. Alice ouvre la bouche et sa frustration se ressent. Elle est à bout, elle en a vraiment ras le bol. Ace rit pendant qu'elle parle, elle trouve ça marrant. Pourtant, elle n'a fait aucun de jeu de mot spécifique. La prévenir ? Et avec quoi ? C'est justement ça l'horreur. Aucune communication avec les autres. Elle ne s'était jamais rendu compte à quel point parler était intéressant. La jeune "sainte" transpire la haine et le désespoir. Désespérante, c'est le mot juste pour qualifier les activités de la fugitive. Ensuite, elle s'excuse d'être si énervée. C'est compréhensible. Elle demande ce qu'elles pouvaient faire à présent. Quoi ? Elle ne voulait pas la ramener dans sa cage ? Étonnant.

Juste. Ace n'a aucune idée de ce qu'elle veut faire maintenant, elle improvisait tout le temps. Elle a envie de courir et de hurler en même temps. De dépenser son énergie. Elle s'assoit par terre et lève un bras. Elle fait descendre de ce bras une limace, lentement. Elle aspire le peu de couleur qui lui reste, son bras devient vraiment totalement blanc. Ses mains sont sans vie. Alors qu'elle rampe jusqu'à son épaule, Ace pose sa bouche sur le gastéropode et l'avale lentement. Sans mâcher. Elle sent un peu la chenille ramper, puis elle disparaît de son corps. Pouf. Une autre. Sur sa jambe. Elle monte, monte, monte. Et Ace s'en saisit alors qu'elle est sur son genou pour l'ingurgiter. Encore. Sur sa joue. Elle rampe d'elle même vers sa bouche et s'évapore. La jeune fille regarde Alice, attendant qu'elle propose quelque chose de pas très ennuyeux. Qu'est-ce qu'ils font de leurs journées, les Saints ? Ils jouent à la marelle et à la corde à sauter ? Les dégénérés, eux, discutent, montent des plans, critiquent, se disputent, font des crises, s'échappent, détruisent, se blessent.. Très dévastateur. Ace se demande si ce n'est pas ça qui la rendu folle. La dernière fois qu'elle a fait une crise, elle s'est enfermée dans sa chambre. Les autres lui hurlaient de la laisser entrer, mais elle était trop occupée à danser un dragon sur le mur. Il y est encore, elle n'a jamais réussi à le faire partir. Il y a aussi un dauphin, deux souris, une vache, deux lapins et cinq poissons. Elle ne fait pas exprès, elle ne contrôle rien.